Le sol, couche de base et milieu vivant d’une source chaude

AU SOMMAIRE :

Le sol, socle de toute vie terrestre

Le sol est primordial pour se nourrir, boire ou respirer. Tout ce qui nous maintient en vie dépend du sol.

Le sol est une véritable matrice vivante adaptée à son environnement. Mais qu’en est-il du sol d’une source chaude? C’est ce que nous verrons dans cet article après avoir abordé l’importance des micro-organismes dans le sol. En effet, c’est grâce à la présence d’une multitude de micro-organismes du sol que les plantes, les arbres, etc. peuvent se développer. Sans les organismes souterrains qui décomposent la matière organique, il n’y aurait pas d’éléments nutritifs, accessibles aux végétaux.

Le sol est la base de la vie sur les continents. Nous vivons sur lui et de lui.

Il existe une très grande diversité de types de sols existe et leur formation est intimement liée à de interactions complexes entre le climat, la nature du substrat (roche), le relief, la végétation, les micro-organismes et l’intervention de l’homme.

Le sol, une couche vivante abritant une incroyable biodiversité biologique

Lorsque nous évoquons la biodiversité, nous pensons immédiatement à ce qui peut être vu, tel les animaux, les plantes, les arbres, les insectes, etc., alors que l’essentiel de la biodiversité des espèces est constitué de microbes qui ne se voient pas. Cette abondance microbienne et sa diversité sont présentes dans tous les milieux comme l’eau et l’air, mais aussi sous nos pieds : le sol.

Un seul gramme de terre peut en effet contenir jusqu’à un milliard de micro-organismes, pour un nombre d’espèces différentes variant de cent mille à un million.

De plus, tous ces micro-organismes ont un impact sur leur milieu. Ces micro-organismes peuvent être des bactéries, des virus, des protozoaires, des algues microscopiques, des champignons microscopiques, etc. Ils constituent le microbiote du sol. Peut-être avez-vous déjà entendu le terme « microbiote » et l’importance de ses micro-organismes chez l’ homme ?

Le sol, un milieu vivant au service de son environnement naturel

Tout au long de l’article, nous verrons que la notion d’« abondance » et de « diversité » des micro-organismes est un principe fondamental pour qu’un milieu de vie soit sain et équilibré. Cela nous permettra ensuite de mieux comprendre leur importance dans le sol d’une source chaude.

Abondance et diversité des micro-organismes du sol dans un environnement naturel

Couches du sol
Couches du sol.

On y retrouve une grande quantité de micro-organismes (invisibles à l’oeil nu), mais aussi d’animaux (type de vers de terre…), immédiatement sous la végétation, répartis dans ces deux premières couches :

→ la couche O, la plus externe, également appelée « litière », abrite une importante activité biologique. Dans les premiers centimètres, les micro-organismes dégradent la matière organique accumulée, comme les débris végétaux fraîchement tombés, les déchets animaux, ainsi que les déchets d’origine humaine. Elle est principalement composée d’humus, de débris végétaux et de déchets animaux.

→ la couche A, située immédiatement en dessous, est une couche arable riche en matière organique, d’une épaisseur de 10 à 30 cm, voire plus. Composée d’un mélange d’humus et de minéraux, elle est essentielle à la croissance des végétaux.

La présence et la diversité de micro-organismes sont également très abondantes dans l’entourage immédiat des racines des végétaux : fougères, herbes, etc.

Puis, plus on descend dans les couches inférieures du sol, plus celui-ci s’appauvrit en humus. La quantité et la diversité de ces micro-organismes diminuent également. La matière organique considérée comme essentielle à leur survie, devient rare. Le sol redevient minéral, mais il n’est pas pour autant stérile. La vie abonde dans les entrailles de la terre. Des micro-organismes ont été retrouvés à plus de 5000 mètres de profondeur, ce qui constitue aujourd’hui un mystère pour la communauté scientifique.

La formation d’humus est un indicateur ici de l’abondance de micro-organismes. L’humus est la matière organique produite par tout un écosystème de créatures microscopiques très actives dans la couche supérieure du sol. Ces créatures décomposent la matière organique issue des déchets végétaux (feuille, écorce, bois, pollen, etc.) et animaux. Ce processus s’appelle l’humification. L’humus est cette terre brune noirâtre que l’on retrouve dans les sols. Il contient de nombreux nutriments utiles pour les végétaux, dont l’azote, l’un des plus importants.

Rôle de ces micro-organismes du sol et interactions avec les milieux avoisinants

Le rôle de ces organismes vivants du sol est indispensable à toutes les fonctions clés du sol comme :

  • le maintien de l’état structurel du sol par la production de molécules organiques permettant la cohésion du sol.
  • l’humification du sol.
  • la dégradation et le filtrage des polluants.
  • la purification des eaux.
  • la minéralisation des matières organiques qui pourront être assimilés par la végétation.
  • le stockage plus important de l’eau grâce à l’accumulation d’humus.
  • la production d’antibiotiques qui limitent la prolifération de bactéries pathogènes.
  • la production d’une grande variété d’enzymes.
  • Etc.

Leur habitat doit être aéré car les processus de décomposition et de transformation ont généralement lieu dans un milieu riche en oxygène, là où logent les bactéries aérobies. Ces micro-organismes, tout comme les vers de terre qui aèrent le sol en creusant des galeries, participent activement à la construction du sol.

Une bonne humification du sol permet de mieux retenir l’eau, ce qui assure une meilleure survie des micro-organismes et une meilleure hydratation des végétaux. Ces micro-organismes se servent de la mince pellicule d’eau entourant les particules du sol pour survivre. Un dessèchement du sol ralentit leur activité.

Les micro-organismes sont aussi particulièrement actifs, partout où il y a conjonction de deux environnements différents : sol↔air, sol↔végétaux, etc. L’illustration ci-dessous nous permet de mieux visualiser ces échanges réciproques entre milieux différents :

Interactions d'un sol vivant avec les milieux avoisinants
Interactions du sol avec les milieux avoisinants

Le sol échange avec l’air ambiant (1). En effet, les micro-organismes du sol interviennent directement dans le cycle de l’azote, mais aussi dans celui du carbone, que l’on retrouve dans l’air sous forme de dioxyde de carbone (CO₂). Leur rôle est même fondamental sur le climat d’après une étude[1]. Toutefois, selon une autre étude[2], le changement climatique et les dépôts d’azote issus de l’agriculture et de la combustion affectent l’abondance et la diversité des micro-organismes de la litière, modifiant ainsi sa chimie.

Des échanges riches ont lieu entre la litière et la surface du sol (2). Un tapis de sol riche en matières organiques issues de végétaux et d’animaux morts sert de nourriture aux micro-organismes. Cette nourriture est ensuite décomposée et enrichit la litière en humus. La minéralisation de la matière organique par ces micro-organismes va ensuite servir de nutriments pour les végétaux.

Le sol interagit fortement avec les végétaux. Bien que la litière représente la couche du sol la plus abondante en micro-organismes en raison de son interface avec le milieu extérieur, ces micro-organismes sont également particulièrement nombreux aux abords des racines, (3) dont la zone est appelé rhizosphère. Bien que située à l’extérieur de la plante, cette zone est considérée comme un organe dont la richesse en micro-organismes est plus élevée que celle des autres organes de la plante (racine, feuille, tige, graine, etc.) d’après cette étude[3]. Elle constituerait même le microbiote principal d’une plante. La rhizosphère permet ainsi de fournir à la plante les nutriments dont elle a besoin, de réguler sa croissance racinaire et de la protéger des parasites et nématodes. En retour, la plante nourrit ces micro-organismes en leur transférant de la matière organique. Une véritable coopération s’installe alors entre ces micro-organismes et ces végétaux qui vont couvrir un large éventail d’interactions[4]. On parle aussi de symbiose. C’est un échange gagnant-gagnant.

Ainsi, nous avons pu constater que le sol, par le biais de ses micro-organismes, entretient de nombreux échanges avec les milieux environnants. Nous avons également pu constater que la diversité et l’abondance de micro-organismes sont maximales à l’interface de deux environnements différents. Enfin, nous avons pu constater que le microbiote principal d’une plante se situe à l’extérieur, dans la rhizosphère. Qu’en est-il alors de la conjonction d’un sol et d’une source chaude(4)?

Le sol, un milieu sensible aux perturbations extérieures

Jusqu’ici nous avons pu prendre davantage conscience de l’importance du travail des micro-organismes dans un sol puisqu’ils sont considérés comme « les ingénieurs chimiques du sol » et « les architectes du sol ». Ils permettent ainsi de créer un « édifice » vaste et organisé dans le sol, au service de leur environnement. En préservant cet édifice, la végétation qui pousse dans de telles conditions sera donc plus équilibrée. Au contraire, un milieu perturbé (surpâturage, labour, compactage, intrants chimiques et pollutions de toutes sortes) diminue l’abondance et la diversité des micro-organismes, ce qui favorise l’émergence de bactéries pathogènes dites opportunistes, et entraîne une perte de qualité et de fertilité du sol.

Pour pallier à ce déséquilibre et informer sur l’état du sol, la nature a prévu la germination de plantes bio-indicatrices (lamier pourpre, pissenlit, chardon, rumex,etc.) qui sollicitent également certains micro-organismes, permettant ainsi d’atténuer ces effets et de les corriger dans le temps. Mais qu’est-ce que tout cela a à voir avec une source chaude ? Quelles peuvent bien être les fonctions de ces micro-organismes dans un sol accueillant une source chaude ? C’est ce à quoi nous allons essayer de répondre en nous appuyant sur de nombreuses études scientifiques.

Le sol, un milieu vivant au service d'une source chaude

Lorsqu’un sol s’adapte à une source chaude, un équilibre dynamique s’établit entre les deux au bout d’un certain temps. Comme indiqué en introduction, le sol est une véritable matrice vivante qui s’adapte à un milieu donné, en l’occurrence une source chaude. Même dans un environnement difficile, une source chaude reste une source d’eau dépendante. De quoi ? De son sol.

Transformation du sol par les eaux thermales provenant d'une source chaude - Présence de micro-organismes

Lorsque l’eau d’une source chaude émerge pour la première fois, le sol doit s’y adapter. En effet, un sol perméable ou parsemé de végétation n’est pas préparé à recevoir des eaux thermales. Or, la végétation favorise l’infiltration en s’opposant au ruissellement. Comment des eaux thermales pourraient-elles alors y ruisseler ?

La présence de végétation au point d’émergence et dans les zones d’écoulement est rapidement détruite par la chaleur véhiculée par les eaux thermales.

D’après une étude allemande[5], des traitements répétés à l’eau chaude seraient plus efficaces que les désherbants chimiques pour contrôler et éliminer la végétation sur les voies de chemin de fer. Par conséquent, un sol perméable subit une transformation en profondeur de son substrat pour permettre à l’eau chaude de ruisseler. Le sol va ainsi acquérir une certaine capacité de rétention d’eau afin de devenir imperméable.

La température d’une source chaude semble être le facteur le plus impactant sur la matrice d’un sol, affectant sa composition minéralogique, ses propriétés chimiques et morphologiques, etc. Lorsqu’elle est élevée, l’altération du sol par ces eaux thermales et les changements morphologiques les plus importants s’y produisent.

La présence d’éléments chimiques spécifiques à chaque source chaude accélère ce processus d’altération du sol. Mais tout cela se produit-il sans la présence de micro-organismes ? Eh bien non ! En fait, la présence d’éléments chimiques[6] et la température de l’eau[7] vont conditionner la présence de certaines espèces de micro-organismes dits thermophiles, qui participent activement à la formation ou à la transformation du sol.

Il est utile de préciser ici que ces facteurs déterminent à la fois la présence de micro-organismes évoluant dans la source chaude et de micro-organismes évoluant à travers le sol.

Ainsi, le type de sol le plus courant retrouvé dans une source d’eau chaude est généralement composé de limon, d’argile,etc. D’ailleurs, sans la présence de micro-organismes, le sol serait sableux et ne pourrait pas stocker l’eau. Les sols argileux, riches en éléments nutritifs, sont ceux qui retiennent le mieux l’eau.

Mais le contour de certaines sources chaudes est parfois délimité de manière plus surprenante par un sol de type travertin, ou par un sol aggloméré siliceux ou carbonaté, ou encore par un tapis de sol riche en oxyde ferreux, etc.

Dans tous les cas, l’étrangeté de ces sols abrite toujours une multitude de micro-organismes. Voyons quelques exemples ci-dessous :

SOURCE CHAUDE
ET SOL DE TYPE TRAVERTIN

Le parc de Yellowstone est l’un des sites les plus populaires pour étudier les bactéries thermophiles présentes dans les sources chaudes, dont certaines sont très acides. La zone Mammoth hot springs, située au nord-ouest du parc est notamment connue pour ses nombreuses concrétions calcaires et ses terrasses en travertin. La plus spectaculaire d’entre elles se trouve sur le site des Lower Terraces Area.

MAMMOTH HOT SPRINGS - Terrasses en travertin
MAMMOTH HOT SPRINGS - Terrasses en travertin

D’après ces deux études[8][9] réalisées sur le site de Mammoth Hot Springs, la formation de ces travertins, longtemps considérés comme « inertes », ne résulte pas seulement de réactions chimiques classiques provoquant des dépôts de calcaire, mais de processus complexes faisant intervenir des micro-organismes sur la chimie des cristaux de travertin. 

Une autre étude[10] réalisée sur une source chaude en Italie (Viterbo), nommée la « piscine Carletti », met en évidence la complexité des interactions entre micro-organismes et leur environnement dans la formation de travertins.

Enfin, une étude[11] sur les travertins de la source chaude de Pammukale (Denizli, Turquie) a permis d’isoler une bactérie (Bacillus sp calcifiant) capable de réparer les micro-fissures de vieilles pierres en produisant un liant ayant une puissance de fixation significative. Toujours selon cette étude, ce mortier biologique pourrait même représenter une alternative aux approches conventionnelles.

PAMMUKALE (Denizli) et son château de coton
PAMMUKALE (Denizli) et son château de coton
SOURCE CHAUDE ET TAPIS DE SOL
RICHE EN OXYDE FERREUX

Le parc de Yellowstone est également un laboratoire exceptionnel pour étudier les nombreuses sources chaudes tapissées d’oxyde ferreux. On en trouve d’ailleurs plus d’une dizaine, réparties dans plusieurs secteurs du parc. Vous trouverez ci-après quelques images de ces sources.

Grand Prismatic au Parc de Yellowstone
Canary Spring au Parc de Yellowstone

Ces sources chaudes, riches en fer possèdent une diversité microbienne détectée sur leur tapis de fer ferrique considérable d’après ces études[12][13].

Ces souches bactériennes permettent de réguler les différentes formes de fer présentes dans ces sources chaudes. Lorsque le fer est transformé et oxydé par les microorganismes, il peut s’accumuler dans des minéraux composés d’oxyde de fer[14], dont il existe une très grande variété (hématite, goethite, jarosite, scorodite,etc.). 

Ces communautés microbiennes interviennent également dans l’épaisseur et la dureté de ces minéraux[12]

Une autre source chaude située à Pammukale (Karahayit, Turquie) riche en fer et en calcium, permet aux micro-organismes de réguler et d’incorporer ces minéraux dans la formation de travertins complexes dont la teinte tire cette fois-ci vers le rouge. D’ailleurs, ces boues rouges et leur eau thermale sont connues pour leurs vertus thérapeutiques.

PAMMUKALE (Karahayit) et ses terrasses en travertin teintées de rouge
PAMMUKALE (Karahayit) et ses terrasses en travertin teintées de rouge

Abondance et diversité des micro-organismes d’une source chaude

Certains facteurs semblent jouer un rôle déterminant dans l’abondance et la diversité des micro-organismes d’une source chaude évoluant dans son sol et dans son eau thermale.

Comme nous l’avons déjà indiqué, la température[7] est un facteur important qui conditionne la présence de certaines espèces de micro-organismes en contrôlant la richesse et la composition des communautés bactériennes à tous les niveaux taxonomiques.

La température produit en effet de nombreux effets sur les propriétés physiques et chimiques de l’eau. Plus la température augmente, plus certaines propriétés de l’eau tel que la viscosité, la densité, l’indice de réfraction, le pH, la solubilité de l’oxygène, la tension de surface, etc., diminuent, tandis que d’autres, comme le volume ou encore la solubilité des composés organiques et inorganiques dans l’eau augmentent. Par exemple, le pH d’une eau pure à 25 °C est de 7, mais il est de 7,47 °C à 0 °C et de 6,77 °C à 40 °C. Toutes ces variations minimes affectent la diversité bactérienne.

Après être sortie à une certaine température, l’eau d’une source chaude se refroidit tout au long du parcours, créant ainsi un gradient thermique à la surface du sol.

De plus, la température de l’eau d’une source chaude provoque également un gradient de température à travers le sol en humidifiant les couches inférieures jusqu’à une certaine profondeur.

La profondeur atteinte dépend de la capacité du sol à retenir l’eau en surface, de la nature du sol et de son débit, etc. La diversité microbienne est donc favorisée par une large plage de température souterraine présente sur l’ensemble du site d’une source chaude. 

Il semblerait également que la température ait une influence inverse sur le degré de diversité microbienne. Plus la température diminue et plus la richesse en espèces augmente[7]. (Comme le montre notre exemple avec la source chaude Umpqua et ses vasques à étages située en Oregon, Étas-Unis).

 → Le pH est également un facteur qui affecte la diversité microbienne. Un milieu alcalin favorisera généralement la présence de bactéries basophiles, même si ce n’est pas toujours le cas. Une étude[15] réalisée sur une source chaude de Malaisie de nature alcaline a révélé la présence de bactéries acidophiles.

→ Les paramètres chimiques de l’eau, les divers éléments métalliques et certaines propriétés des sédiments influencent également l’abondance, la diversité et la structure microbienne.

Nourriture et diversité des micro-organismes du sol

Les bactéries évoluant dans le sol et/ou dans l’eau de la source chaude (qui s’écoule en surface) tirent leurs nutriments directement de cette source. Ces nutriments peuvent être des acides aminés, des espèces chimiques réduites, des solutés, de la chaleur de l’eau (qui est de l’énergie), etc. Des bactéries photosynthétiques utilisent également l’énergie de la lumière pour se développer. Dans ce cas, elles évoluent dans l’eau qui s’écoule en surface.

Les bactéries du sol sont dites « chimioautotrophe » car elles peuvent produire des composés organiques sans avoir besoin de lumière. Elles utilisent comme source d’énergie les minéraux apportés et comme source de carbone le gaz carbonique (CO₂) dissous.

L’environnement naturel autour d’une source chaude peut également constituer une bonne source de carbone[15]. Une source chaude présente dans une forêt recueillera diverses matières organiques (débris végétaux, feuilles, écorce, animaux, insectes, etc.) qui seront alors disponibles pour la communauté bactérienne. Cette source de carbone supplémentaire améliore leur survie, leur activité et augmente la diversité microbienne.

Rôle de ces micro-organismes du sol d’une source chaude et interactions réciproques

Une source chaude fournit des éléments chimiques essentiels à la vie et soutient les écosystèmes microbiens en leur fournissant des sources d’énergie abondantes. Riche en nutriments, elle soutient aussi bien les communautés photosynthétiques présentes dans l’eau (algues et bactéries constituant le plancton thermal) que les communautés microbiennes évoluant à l’abri de la lumière, c’est-à-dire dans le sol.

Ces dernières peuvent alors, par tout un ensemble d’interactions, soutenir réciproquement le milieu qu’est une source chaude, comme elles le font par exemple avec les minéraux. Les minéraux peuvent par exemple servir de sources d’énergie et d’électrons pour les microbes ou être utilisés pour créer des structures complexes et des dépôts. Les minéraux peuvent aussi recevoir des électrons par les microbes. Leur biodisponibilité dépend en partie des interactions complexes avec ces micro-organismes du sol.

Lorsque la température d’une source chaude diminue (après émergence) à travers le milieu (le sol) dans lequel elle s’écoule, celui-ci doit fournir à l’eau des électrons pour limiter son oxydation. Ces électrons sont fournis par les micro-organismes du sol. Grâce à leur métabolisme énergétique, les micro-organismes du sol transforment les nutriments apportés par la source chaude en énergie qu’ils restituent dans l’eau.

Les micro-organismes produisent un très grand nombre d’enzymes[16] dans les sources chaudes. Ces enzymes permettent d’accélérer (catalyser) des millions de fois les réactions chimiques qui ont lieu dans un milieu. D’après une étude[17] la dépollution biologique (bio-remédiation) par des micro-organismes, producteur d’enzymes, est de loin la méthode la plus efficace pour le traitement des eaux et serait même supérieure aux nombreuses méthodes physiques et chimiques.

Les sources chaudes sont une source d’antibiotiques[18] grâce à la présence de microorganismes sécrétant des composés antimicrobiens. Cela permet notamment de contrôler et d’éviter la prolifération de bactéries pathogènes dans le sol et dans l’eau. De plus, les antibiotiques produits peuvent présenter une activité à large spectre sur les bactéries pathogènes, comme le souligne cette étude[19] réalisée sur plusieurs sources chaudes en Inde.

Une diversité de micro-organismes du sol a également plus de chances de produire une chimie diversifiée, augmentant ainsi les probabilités de trouver une multitude de composés (sucres, acides gras saturés/insaturés, molécules anti-inflammatoires, vitamines, etc.) permettant d’enrichir une source chaude.

Le microbiote d'un sol de source chaude

Il existe de nombreuses similitudes entre le microbiote de l’intestin, dont la diversité en micro-organismes vit en symbiose avec cet environnement spécifique, et celui d’une source chaude. D’ailleurs, peut-on parler de microbiote pour une source chaude? C’est ce que nous verrons dans cette dernière partie. Pour cela nous nous intéresserons aux phylum bactériens identifiés dans les sources chaudes. Le « phylum » est simplement une « classe » de bactéries. Il existe actuellement une soixantaine de phylums pour référencer l’ensemble des bactéries connues à ce jour.

Selon la classification, un seul phylum peut regrouper des milliers d’espèces de bactéries (par exemple : le phylum « Firmicutes », le phylum « Protéobactéries » ou le phylum « Cyanobactéries »), tandis que d’autres n’en contiennent que quelques-unes.

Diversité et phylums bactériens des sources chaudes en Asie du Sud

Une méta-analyse particulièrement intéressante [20] regroupe plusieurs publications portant sur la diversité bactérienne de nombreuses sources chaudes en Asie du Sud (Inde, Chine et nord du Pakistan).

Petite précision importante : les prélèvements d’échantillons de toutes ces sources chaudes sont des échantillons d’eau, de sédiments (sol) et d’aggloméré (sol) et ont été pris à une température précise. Cette étude fait une synthèse de toutes ces publications).

Ce graphique (fig. 2) nous permet de visualiser l’abondance et la diversité des phylums bactériens dans plus de 70 sources chaudes d’Asie du Sud.

Localisation de sources chaudes en Asie du sud
Figure 1 : Sources chaudes en Asie du Sud utilisées dans les publications
Phylums bactériens identifiés dans des sources chaudes d'Asie du Sud
Figure 2 : Sources chaudes d'Asie du Sud et phylums bactériens identifiés

Chaque source chaude est ainsi caractérisée par certains phylums bactériens plus dominants que d’autres. Cela peut être le phylum « Firmicutes », « Protéobacteria » ou encore « Aquificae »… Alors que chez l’adulte humain, le phylum bactérien dominant est représenté par le phylum « Firmicutes », suivi du phylum « Bactéroidètes ». Ces deux phylums représentent jusqu’à 90% du microbiote humain. On peut donc bel et bien parler de microbiote pour une source chaude.

Diversité, phylums bactériens et espèces présentes dans le sol d'une source chaude en Inde

Dans cette étude[21], des échantillons du sol d’une source chaude de Tapovan (Uttarakhand, Inde) ont été prélevés afin d’y être analysés. Quatorze phylums bactériens, dont 486 espèces ont été identifiés. Les phylums bactériens dominants sont représentés par les Firmicutes (63%), les Protéobactéria (19,99%) et les Thermi (12,79%).

Le phylum des Protéobactéries représente 19,99% du microbiote du sol de cette source chaude. Chez l’être humain, il est le troisième phylum le plus abondant du microbiote, après Firmicutes et Bactéroidètes. On le trouve notamment dans l’intestin, l’estomac (espèces gastriques), le foie (espèces entéro-hépatiques), les poumons, etc.

Le nombre d’espèces bactériennes identifiées dans le sol de cette source chaude est de 486, alors que l’être humain en compte en moyenne 160 dans son microbiote. La diversité des espèces du sol de cette source chaude est donc considérable.

Toutefois, leur population doit également être stable lorsqu’elles se trouvent dans un écosystème équilibré. Qu’adviendrait-il par exemple, si certaines espèces venaient à disparaître, tandis que d’autres voyaient leur population augmenter ou diminuer ? Examinons à présent ce qui pourrait se passer avec le microbiote intestinal d’un être humain.

D’après une étude[22] française portant sur le syndrome de l’intestin irritable, la diversité microbienne joue un rôle prépondérant dans cette maladie. Une perte de diversité microbienne accompagnée d’une baisse des espèces de Firmicutes (Lachnospiraceae, Gammaproteobacteria, Enterobacteriaceae et de l’espèce Escherichia coli), suivie d’une légère augmentation de certaines espèces des Bactéroidètes (Clostridium, Streptococcus et Bifidobacterium) a été observée chez tous les patients atteints de cette maladie. On constate donc, que de faibles variations à la hausse ou à la baisse de certaines espèces, dans cet environnement spécifique qu’est l’intestin affectent la santé de l’individu.

Ainsi, les variations des espèces présentes dans le sol d’une source chaude, qu’elles soient à la hausse ou à la baisse, ont une incidence sur les qualités intrinsèques et les propriétés physico-chimiques des eaux.

Conclusion

Les micro-organismes du sol d’une source chaude vivent donc dans un écosystème stable et organisé possédant toutes les caractéristiques d’un microbiote. Celui-ci a même la particularité de voir sa diversité bactérienne évoluer le long de son parcours, en raison de la large plage de température que l’on peut trouver sur « l’ensemble d’un site ». Comme nous l’avons vu, une hausse de la diversité bactérienne augmente les probabilités de retrouver une multitude de composés bénéfiques qui enrichissent une source chaude à mesure qu’elle se refroidit. De plus, cet écosystème prospère, qui est indispensable à la survie et à la vitalité d’une source chaude, fait d’elle un milieu fascinant. En effet, cet environnement extrêmement complexe est considéré comme l’un des milieux les plus riches de la planète et continue de susciter un vif intérêt de la part de la communauté scientifique.

(Dans cet article, nous nous sommes principalement référés aux bactéries lorsque nous évoquions les micro-organismes, mais le sol d’une source chaude est aussi constitué d’archées, de levures filamenteuses, de virus, etc., à l’instar du microbiote humain).

1. Glassman SI, Weihe C, Li J, Albright MBN, Looby CI, Martiny AC, Treseder KK, Allison SD, Martiny JBH. « Decomposition responses to climate depend on microbial community composition. » 5 novembre 2018 | 115(47):11994-11999 | doi: 10.1073/pnas.1811269115

2. Allison SD, Lu Y, Weihe C, Goulden ML, Martiny AC, Treseder KK, Martiny JB. « Microbial abundance and composition influence litter decomposition response to environmental change. » Ecology. 1 mars 2013; 94(3):714-25. PMID: 23687897.

3. Masson, Anne-Sophie. 2021. « Le Microbiote Associé Aux Racines De Riz Dans Un Contexte D’Infection Par Des Nématodes Phytoparasites : Une Approche Écologique D’un Système Plante-Pathogène ». Inria.Hal.Science. https://inria.hal.science/tel-03572406v1.

4. Fester, Thomas, Julia Giebler, Lukas Y Wick, Dietmar Schlosser, and Matthias Kästner. 2014. « Plant–Microbe Interactions As Drivers Of Ecosystem Functions Relevant For The Biodegradation Of Organic Contaminants« . Janvier 2014; Current Opinion In Biotechnology 27: 168-175. doi:10.1016/j.copbio.2014.01.017.

5. « De L’Eau Chaude Pour Contrôler La Végétation Sur Les Voies Ferrées – Agrarforschung Schweiz ». 2023.

6. Rawat, Nivedita, and Gopal Krishna Joshi. 2019. « Bacterial Community Structure Analysis Of A Hot Spring Soil By Next Generation Sequencing Of Ribosomal RNA« . 8 Juin 2018; Genomics 111 (5): 1053-1058. doi:10.1016/j.ygeno.2018.06.008.

7. Cole, J., Peacock, J., Dodsworth, J. et al. « Sediment microbial communities in Great Boiling Spring are controlled by temperature and distinct from water communities« . ISME J 7, 718–729 (2013). https://doi.org/10.1038/ismej.2012.157

8. Fouke BW, Farmer JD, Des Marais DJ, Pratt L, Sturchio NC, Burns PC, Discipulo MK. « Depositional facies and aqueous-solid geochemistry of travertine-depositing hot springs«  (Angel Terrace, Mammoth Hot Springs, Yellowstone National Park, U.S.A.). J Sediment Res A Sediment Petrol Process. Mai 2000; 70(3):565-85. PMID: 11543518.

9. Fouke BW. « Hot-spring Systems Geobiology: abiotic and biotic influences on travertine formation at Mammoth Hot Springs, Yellowstone National Park, USA ». 17 Janvier 2011; https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1365-3091.2010.01209.x

10. Venturi S, Crognale S, Di Benedetto F, Montegrossi G, Casentini B, Amalfitano S, Baroni T, Rossetti S, Tassi F, Capecchiacci F, Vaselli O, Fazi S. « Interplay between abiotic and microbial biofilm-mediated processes for travertine formation: Insights from a thermal spring«  (Piscine Carletti, Viterbo, Italy). Geobiology. 2022 Nov;20(6):837-856.  PMID: 35942584.

11. Ciplak ES, Bilecen K, Akoglu KG, Guchan NS. Use of bacterial binder in repair mortar for micro-crack remediation. Appl Microbiol Biotechnol. 2023 May; 107(9):3113-3127. Epub 2023 Apr 4. PMID: 37014395.

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